mardi 1 mai 2012

LA HAUTE MARNE DES "LUMIÈRES"


En Haute Marne, la terre est grasse et les forêts profondes et, outre les prairies et le blé dans les champs, les grands hommes y poussent bien. Mieux, ils y prennent volontiers racine. Petite balade étonnante au pays de Diderot, Voltaire et De Gaulle…

Si De Gaulle avait choisi Colombey-les Deux-Eglises et les 15 km à perte de vue qu'il découvrait de son bureau qui avait Paris en ligne de mire, Diderot lui, y était né. Dans cette ville de Langres qui doit à son architecture militaire d'être considérée comme une des 50 plus jolies villes de France, mais qui, au fond, n'en sait rien.

Car les Haut-Marnais sont gens modestes. Depuis toujours, on y élève des bovins dans le Bassigny, on cultive les champs, son jardin si l'on n'est pas agriculteur, pour boucler les fins de mois et on se fait à l'idée d'être pris plus ou moins pour des "péquenots " isolés de la modernité. 
Tout juste consent-on, ailleurs, à admettre un peu de vigueur industrielle dans la région de Saint Dizier au nord du département. Sinon qu'elle se retrouve, comme beaucoup d'autres en France, à voir fermer ses usines. 

Alors, on se fait presque à l'idée de n'être pas grand chose et à admettre, comme le profèrent certains "intellectuels " ricanants que l'on a fait souche dans ce qui est plus ou moins apparenté au "désert de Gobi ". En oubliant d'ailleurs que la Haute Marne qui forme la ligne de partage des eaux entre la mer du Nord et la Méditerranée est arrosée par
1800 kilomètres de cours d'eau. Que la Marne y prend sa source et que si ce n'est pas le cas de celle de la Seine, c'est uniquement pour des raisons administratives puisqu'elle jaillit sur le plateau de Langres.

Car la Haute Marne, aux frontières des frontières de l'histoire du pays, entre les grands Duchés de Lorraine, de Bourgogne et le royaume de France a toujours été au carrefour de l'histoire. Et ses habitants, qui commencent à s'en rendre compte, se mettent bien volontiers au service de ce passé étonnant pour le donner à voir et à raconter.

"Pour moi, je suis de mon pays…" Denis Diderot
Que Diderot soit né à Langres en 1713, tout le monde le sait à peu près. Qu'il soit parti à 15 ans après d'aussi brillantes études que possible, grâce à la complicité de sa sœur Denise, n'étonne personne quand on considère le personnage. Qu'il ait toutefois été attaché à cette ville qui domine la plaine qu'elle défend de ses impressionnants remparts, n'a rien d'étonnant non plus. Les vents qui la battent et le temps incroyablement changeant a forcément forgé le caractère des Langrois.
Mais il semble que Diderot est bien davantage l'enfant de la ville intra-muros que celui de ses destinées militaires. Né tout près de la cathédrale Saint Mammès qui est construite avec deux tours comme Notre Dame de Paris, il a vécu dans son ombre, entouré de ses couvents et de ses cloîtres et il a passé son enfance sur la place qui porte son nom et où trône désormais sa statue que les lycéens déguisent chaque année pour fêter la période des examens et qui est signée Bartholdi comme le Lion de Belfort et la Statue de la Liberté. Rédiger l'Encyclopédie, écrire "Le Neveu de Rameau " et "La Religieuse " semble alors dans l'ordre des choses.

L'an prochain pour les 300 ans de l'anniversaire de sa naissance, sera organisée l'Année Diderot. L'occasion de guider le public vers tout ce qui se rattache au philosophe et notamment le musée de la ville, où l'on peut bien sûr découvrir, en même temps que quelques objets qui lui ont appartenu, une édition de la fameuse Encyclopédie.

15 ans de la vie de Voltaire
Il en existe un autre exemplaire au château de Cirey-sur-Blaise dans la bibliothèque dont le comte et la comtesse Hugues et Alix de Salignac Fénelon prennent grand soin. Ils ne ménagent pas leur peine pour entretenir leur domaine et en permettre la visite au public.

C'est le paradis, qualifié par lui même de "lieu idyllique" d'un des autres grands hommes de la Haute Marne. Voltaire qui cherchait à se rapprocher des frontières du royaume (on était au XVIIIème siècle à 1/4 d'heure à cheval de celles de la Lorraine) pour fuir les lettres de cachet, s'était réfugié chez la Marquise Emilie du Châtelet en 1734. Il y est resté, excusez du peu, rien moins que 15 ans. Et encore a-t-il quitté les lieux parce que la "divine" Emilie venait de mourir en couches.

On visite cette grande demeure, - chérie des Américains érudits et passionnés qui en ont même créé le site Internet - , à la suite des propriétaires. On découvre la chambre d'Emilie du Châtelet et ses objets de toilette, sa salle à manger et surtout le laboratoire de physique où elle passait des heures avec Voltaire à pratiquer des expériences et à traduire les écrits de Newton en français. On lui doit aussi le "Discours sur le Bonheur". 
Tout ce beau monde, pour se distraire jouait des pièces dans le petit théâtre aménagé dans les combles du château. Avec Voltaire et Diderot, la Haute Marne est une terre de Lumières.

De Gaulle et Paris en perspective
Un peu plus loin, et qui attire évidemment des foules qui consignent sur le Livre d'Or de sa demeure la Boisserie leurs regrets que le général ne soit plus là pour résoudre ce qu'il appelait la chienlit, il y a Colombey-les-Deux-Eglises et le Mémorial qui lui est consacré surmonté de la croix de Lorraine. Jusqu'à la fin du mois de mai, on pourra y découvrir une exposition qui relate les années 60 qu'a dominées le premier président de la 5ème République 
"Sweet Sixties " raconte le nouveau franc, le buste de Marianne à l'effigie de Brigitte Bardot, la DS et la 2CV Citroën et bien sûr les prémices et les effets de mai 68.

Tout autour de Colombey, on trouve des lieux délicieux pour se restaurer et passer la nuit. La Grange du Relais, la jolie maison de Martine Dambrine qui pratique des tarifs angéliques et propose à la vente des objets chinés par elle-même et aussi une boutique de produits bio et locaux. Et le restaurant étoilé local, l'Hostellerie La Montagne de Jean Baptiste Natali.

C'est aussi sur la commune de Colombey entre Rizaucourt et Argentalles que l'on trouve le Champagne que produisent une douzaine de vignerons qui ne sont pas obligés d'attendre que poussent les vignes que leur a permis de planter l'extension de l'appellation puisque qu'il s'agit ici d'une restitution délivrée en 1973 pour des vignes plantées en 1927. 
"Ce n'est ni le meilleur, ni le plus beau, mais les clients reviennent! " dit Janine Hudelet, en faisant partager sa bonne humeur en même temps qu'elle propose à la dégustation le champagne cultivé par son fils Hervé et auquel ils continuent à donner un coup de main.

Trois très grands hommes me direz-vous au final pour une aussi discrète contrée, c'est déjà énorme et leur histoire et les lieux où ils ont vécu vaut le voyage. 
C'est oublier qu'il y a aussi Louise Michel  , la Vierge Rouge révolutionnaire, née à Vroncourt; Marcel Arland académicien né à Varennes-sur-Amance. Et aussi les frères Goncourt qui viennent du village qui portent leur nom; l'éditeur Alexandre Hatier originaire d'Ambonville et les frères Flammarion qui viennent de Montigny-le-Roi. Et encore, dans un passé plus lointain, les ducs de Guise et les sires de Joinville, les ducs de Vitry et de Penthièvre. Ceux-là feront l'objet d'un autre prochain sujet.

A lire
:
  • "Diderot. Le génie débraillé " par Sophie Chauveau aux Editions Télémaque.
  • "Haute Marne " - Mille visages à découvrir par Henri-Pierre Jeudy aux Editions de la Martinière. 

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