mardi 22 novembre 2011

LES GRANDS BLANCS SAVOYARDS



Fin novembre... L'appel de la neige et des sommets se fait sentir. Tous les amateurs de glisse se préparent à dévaler les pistes et à se retrouver chaque soir en grande tablée, pour faire le tour des "spécialités" savoyardes.

Une par jour : raclette, fondue, pela... Il y en a pour tous les goûts. Ajoutez à cela un "petit" vin blanc (nécessairement "petit") qui pique un peu la langue, se réchauffe au contact du ou des poêlons au cours du repas et fait mal à la tête et le cliché est complet!

Des années que je prends la défense des vins de Savoie ! Comme on peut le faire de tous ceux qui sont parfois injustement traités. Non, ce n'est pas (seulement...) de la piquette locale et il y a déjà belle lurette que certains viticulteurs font de louables efforts.

Ce sont les chefs en montagne, je devrais dire en station, qui me les ont fait découvrir du temps où je bravais les intempéries, chutes de neige et verglas pour faire mes enquêtes pour GaultMillau. Michel Rochedy du Chabichou à Courchevel et ses sommeliers dénicheurs de talents, m'avaient fait rencontrer les frères Quenard et leurs Chignin Bergeron. Jean Pierre Jacob au Bateau Ivre juste en face et à Ombremont au Bourget du Lac désormais, savait qu'il lui fallait proposer de grands Bordeaux pour contenter ses clients internationaux tout comme d'autres aussi installés autour des lacs et des montagnes, mais ils en profitaient quand même pour défendre leur région et en promouvoir les vins.

A leur décharge, pour que l'on puisse en trouver sur les tables des usines à raclette, il fallait bien qu'il y ait quelques producteurs de vins, disons, moyens. Et il y a une vingtaine d'années, la plupart des vignerons de Savoie ne vendaient que du vrac et ne pratiquaient même pas la culture de la vigne en activité principale. Ils sont 150 aujourd'hui à mettre en bouteilles et une soixantaine à vendre leurs produits à la Maison de la Vigne et du Vin à Apremont qui mérite absolument le détour parce que les grands blancs de Savoie (ils constituent 71% de la production) ici présentés le sont au même prix que dans les caves.

Elle a été bâtie les pieds dans les vignes, à 10 minutes de Chambéry (sortie Granier) grâce à la volonté de fer du Comité Interprofessionnel des Vins de Savoie et de son président Gilbert Perrier et aussi des vignerons qui le suivent et s'investissent à ses côtés comme Michel Quenard.

En face de l'oenothèque, on découvre tout le vignoble de Chignin et on peut en profiter pour apprendre que le vignoble savoyard est très complexe et les cépages nombreux. Il y en a 23 sur les 250 utilisés en France qui poussent sur des terrains chaotiques, des moraines caillouteuses très dures à travailler, mais qui permettent aux baies, par ailleurs très bien arrosées par 1000 mm de précipitations en moyenne de mûrir lentement au soleil en profitant de toute sa course de la journée.

Il existe 16 dénominations "Vin de Savoie" en blanc et 4 en "Roussette de Savoie". Les cépages les plus répandus, Jacquère (unique), Altesse (en expansion), Chasselas (en Haute Savoie exclusivement), Chardonnay (pour la Roussette) et Roussanne que l'on appelle aussi Bergeron comme l'abricot et qui ne concerne que les communes de Chignin, Francin et Montmélian. C'est lui, ce cépage qui produit les raisins dorés qui lui ont donné son nom, qui m'avait permis un beau jour "d'éblouir" mon auditoire au cours d'une dégustation à l'aveugle organisée en préalable d'une épreuve du CAP de sommellerie pour laquelle on nous avait demandé de venir assister le jury.

Claude Marandon, lui-même ardent défenseur du vignoble de Savoie, avait classiquement dissimulé les étiquettes des bouteilles dans lesquelles tous les autochtones, plus au fait que moi des crus locaux, avaient reconnu un Chignin ou un Chignin Bergeron. Je m'étais lancée (rien à perdre!) sur un Saint Péray dont j'avais dégusté des échantillons deux jours auparavant. Bingo! J'avais gagné, moi qui en sait juste assez en matière de vin pour savoir que je ne sais rien! Sinon, en l'occurrence que la Roussanne est originaire de Tain l'Hermitage et qu'elle est, avec la Marsanne, un des cépages du Saint Péray! D'où affinités...

Des cépages, il y en a d'autres dont 7 uniques au monde. Connaissez vous le Gringet, le Persan, la Roussette d'Ayze par exemple?

Les vins de Savoie portent "à l'épaule" de la bouteille le blason de Savoie. C'est important dans une région qui n'existe par elle-même que depuis 150 ans. Çà et là, on découvre les marques de l'ancienne frontière entre la Savoie et la France. Quand le regard porte au loin depuis les flancs d'une montagne, on passe de l'une à l'autre et ainsi de suite jusqu'au Mont Blanc.

Pour la balade et hors les pistes, on peut découvrir toute la mosaïque géographique des vins de Savoie. La Combe de Savoie à l'est de Chambéry, entre la Chartreuse et les Bauges, avec le vignoble des Abymes et Apremont planté sur l'éboulis d'un pan entier du Mont Granier qui s'est effondré dans la nuit du 24 au 25 novembre 1248 sur le village de Saint André.

Les vignobles de Saint Jeoire, Montmélian, Arbin et Cruet sur les contreforts des Bauges sont le domaine des Chignin et Chignin Bergeron face à Apremont et aux Abymes sur la rive droite de l'Isère. Et, de l'autre côté du Tunnel du Chat, Chautagne, Jongieux, Marestel, Monthoux, Seyssel et Frangy ont un point de vue imprenable sur les rives du Rhône qu'ils voient se lever dans la brume. L'Avant Pays Savoyard s'investit à fond dans l'oenotourisme grâce à de jeunes viticulteurs qui reprennent les exploitations sur un des plus vieux vignobles de France qui bénéficie de la fraîcheur du matin et du soleil de l'après-midi. Ceci expliquant peut-être cela...

Reste qu'il s'agit aussi de mentionner les vins des rives du Léman les Crépy, Marignan, Marin et Ripaille et le vignoble d'Ayze dans la vallée de l'Arve.

Comme tous les vignobles, les Savoie connaissent une forte demande en crémants. Ils vont être rassemblés sous l'appellation Crémant de Savoie à partir de 2013 suite à un avis favorable de l'INAO. Seuls les crémants d'Ayze (j'ai le souvenir des notes de coing très fraîches de celui du Domaine Belluard) et de Seyssel, issus de Gringet garderaient leur appellation propre.

Au moment de conclure ce panorama des vins de Savoie, qui disent dépendre des grandes toques de leur montagne pour gagner en notoriété, mais regrettent aussi qu'ils soient vendus sur table, surtout en altitude, à des tarifs parfois indécents, il ne faut pas oublier de parler des vins rouges. Les Gamays bien sûr à déguster légèrement frais avec les charcuteries et les plats à base de cochon, mais surtout la Mondeuse, un vin fin, corsé, élégant qui fait merveille sur les gibiers et le civet de caïon (le cochon en patois savoyard). Mais là encore, les Savoyards ne sont pas au bout de leurs peines. Une dame de la restauration, qui se piquait de s'y connaître un peu, me disait encore l'autre jour "qu'une bonne Mondeuse sur les pistes avec une raclette, il n'y avait pas mieux!" Au moins savait-elle que ça existait. C'est déjà ça!

jeudi 10 novembre 2011

L'ARTISTE ET LE COLLECTIONNEUR



Ne dites pas, comme je l'ai déjà écrit moi-même, que le Musée des Beaux Arts de Lyon est le Louvre lyonnais. S'il est vrai que l'hôte du Palais Saint Pierre - dont l'illumination des façades sur la place des Terreaux sera encore un des temps forts de la Fête des Lumières qui va avoir lieu du 8 au 11 décembre à Lyon - est, en regard de l'importance de ses collections, le premier musée des Beaux Arts de France en région, il n'est, en aucune façon, la version provinciale du premier. En fait, les deux musées et quelques autres sont les résultats d'une politique culturelle régie par la loi Chaptal qui date de 1801 et qui leur a donné pour mission de présenter des oeuvres majeures au public sur tout le territoire.

Aucun suivisme donc dans les activités du musée de Lyon. Fidèle à sa mission il organise, sous la houlette de la conservatrice Sylvie Ramond, des expositions temporaires de très haut niveau tout au long de l'année.

Après celles de 2010 : "Deux frères, un nom. Bram et Geer van Velde"; "Picasso, Matisse, Dubuffet, Bacon... Les modernes s'exposent au musée des Beaux-Arts "; "Juliette Récamier, muse et mécène "... c'est le cas, cette année, de trois accrochages qui mettent en perspective le travail d'un artiste, d'un galeriste et d'un collectionneur : Le sculpteur Etienne-Martin qui est aussi l'un des plus importants du 20ème siècle; le galeriste Marcel Michaud dont la trajectoire artistique a supporté entre autres et dans le sens littéral du terme, le travail du premier; et, en point d'orgue, une exposition d'oeuvres contemporaines choisies par le collectionneur Antoine de Galbert.

"L'Atelier d'Etienne-Martin" et "Le Poids du Monde" de Marcel Michaud seront présentes jusqu'au 23 janvier 2012. Quant aux 60 oeuvres choisies dans la collection d'Antoine de Galbert intitulée "Ainsi soit-il", elles sont dans la droite ligne d'expositions conçues à partir du regard d'un amateur. Il s'agit de la troisième après "Un siècle de paysages" et "L'Emotion et la règle". Elle dure jusqu'au 2 janvier.

Antoine de Galbert, galeriste grenoblois et fondateur de La Maison Rouge, destinée à promouvoir les différentes formes de la création actuelle au travers de la présentation d'expositions temporaires, a choisi également 7 chefs d'œuvre parmi les collections du musée. "Le Christ de douleur" d'Albert Bouts, "le Saint Sébastien soigné par Saint Irène " d'Antonio de Bellis et des têtes coupées d'une momie égyptienne…

On est accueilli dans l'espace de l'exposition par une installation des battements du cœur de Botanlski, une croix constituée d'assemblages d'insectes. Le sujet tout entier est en parfaite résonance avec la 11ème Biennale d'Art Contemporain de Lyon qui se déroule jusqu'au 31 décembre.

C'est la première fois qu'une exposition d'une telle ampleur se tient autour de l'oeuvre d'Etienne-Martin et c'est à une plongée dans son atelier, aimablement ouvert par ses ayant-droit que l'on est invité. Un capharnaüm géant avec ses rails, poulies et chaînes destinées à bouger les masses de bois et les racines qui servent aux œuvres monumentales de l'artiste. On ne peut évidemment ignorer cet aspect qui a fait sa renommée.

Mais au travers des prêts exceptionnels du musée national d'Art Moderne, du musée d'Art Moderne de la ville de Paris ou encore des oeuvres rassemblées par Guy Landon pour le musée de l'Athanor à Bois Orcan (Noyal-sur-Vilaine), on s'approche d'un autre aspect plus secret et plus intime de l'univers de cet artiste à la réputation internationale. L'auteur des Passementeries, du Manteau, de cet escalier Dogon dont l'arrivée de la racine qui en est à l'origine dans l'atelier ou encore de ce qui va devenir le Cerbère, fait de lui presque davantage un archéologue qu'un sculpteur.

Né à Loriol dans la Drôme en 1913, Etienne-Martin a vécu pendant son enfance, une expérience physique très marquante. La maison de rue dans laquelle il vivait était en fait, sous une même façade, constituée de deux maisons distinctes et il était impossible de l'intérieur de circuler entre les pièces au travers du mur mitoyen sauf au rez-de-chaussée et au 3ème étage. Il est évident que l'imaginaire de l'artiste aiguillonné par cet "univers enchanté et clos" comme il le dit lui-même, a engendré la constitution et l'agencement de l'atelier.

L'exposition elle-même, au musée des Beaux Arts de Lyon dans lequel il avait été confronté pour la première fois à une sculpture de Rodin, utilise dans sa scénographie des matériaux bruts qui n'ont guère l'habitude de fréquenter les musées, tout comme Etienne-Martin qui employait les matières les plus variées. Une des grandes rencontres de sa vie s'est faite à Lyon aussi, en 1930 avec le galeriste Marcel Michaud, autre volet des deux expositions de moment.

Ce galeriste aux origines plus que modestes (il a débuté comme ouvrier tourneur...) a réussi à faire de ses galeries lyonnaise et parisienne, le "lieu géométrique où tout ce qui touchait à l'art se rencontrait". Sa fille Françoise Dupuy-Michaud" a fait don au musée en 2008 de 34 oeuvres d'artistes défendus par son père. Qui avait fait de Lyon, un foyer de la création vivante dont on retrouve les effets dans le succès de la Biennale. Sa galerie Folklore a accueilli Témoignage, un mouvement artistique aux influences picassiennes né en 1936. Toute sa vie, il a été aux côtés d'artistes qui figurent désormais parmi les plus renommés du XXème siècle. En plus, Marcel Michaud était aussi un poète et l'animateur du tout premier ciné club lyonnais... Touche à tout de génie absolument insatiable.