mercredi 20 février 2008

LA CUISINE DU PETIT CHIMISTE


Je suis comme vous, la cuisine moléculaire, j'en entends parler, mais je n'en sais pas plus. J'en vois se pâmer et je ne peux pas m'empêcher d'être intriguée par les enthousiasmes de Pierre Gagnaire auquel on ne peut reprocher, ni de manquer de créativité, ni de ne pas savoir maîtriser ses élans.

Je suis bien placée pour le savoir. Du temps où il cuisinait dans son loft de Saint Etienne, c'était étonnement et extase presque chaque fois où l'on se mettait à table. De quoi avoir un à priori favorable, même si je n'aime pas beaucoup l'association des deux mots : Cuisine et moléculaire.

Pour moi, les mots, ça compte, c'est un sixième sens, c'est évocateur, au point d'ailleurs qu'on les vend un peu trop. Je pense à ce plasticien qui propose des bonbons à rien, mais qui arrive à les placer à cause de l'idée qu'on s'en fait. Joyeuse démonstration.

Toute digression mise à part, j'ai un peu l'impression de tomber de l'armoire. Ce "courant" gastronomique a déjà plus de 15 ans et il n'a pas cessé d'exciter ma curiosité, mais à temps perdu. Je saute donc sur l'occasion quand Catherine Guérin et Marianne Vellieux à qui l'on doit Badiane, la librairie gourmande de Lyon qui manquait bien à la capitale de la gastronomie, me convient à venir observer un jeune chef, Samuel Desjobert pour une démonstration.

Le garçon se dit impressionné par les expériences (c'est le mot) du catalan Ferran Adria dans le restaurant duquel il faut toujours réserver deux ans à l'avance pour obtenir une table (je suppose qu'il doit y avoir un marché noir des réservations pour ceux qui ont un empêchement de dernière minute. Passons...) Seulement voilà, j'apprendrai, après vérification, que l'homme de Rosas saute au plafond quand on l'assimile à ce genre de recherche et Robuchon, c'est pareil. On frise l'insulte quand on se réclame d'eux à ce sujet. Ça commence bien.

Notre jeune chef a du savoir-faire. Il a passé 5 ans chez Pierre Reboul à Tain l'Hermitage avec sa boîte de petit chimiste et il nous propose la confection d'une mousse au chocolat en coque glacée. Intéressant…

Le siphon est le maître instrument de cette cuisine là et, quand il s'agit d'énumérer les ingrédients, il est question de gélatine et de comparaison entre celle du commerce et l'agar-agar et aussi d'un gélifiant bio baptisé "Iota" et qui n'a pas tout à fait les mêmes réactions chimiques, puisque c'est de cela dont il est question. Il semble donc essentiel de prendre des notes pendant que le robot mélange pendant 20 minutes une préparation qui va filer une demi-heure au réfrigérateur.

On apprend aussi que l'utilisation de l'alginate de sodium et du citrate de sodium, porté à 80° avec une pointe de Volvic (attention, pas de Contrex) est recommandé pour notre préparation. Cette cuisine là fait donc ses courses à la pharmacie, ce qui n'est pas facile pour les candidats aux élections qui cherchent des soutiens sur les marchés !

Pour réaliser les coques en chocolat, on attend la bonbonne d'azote liquide, livrée par un industriel. Samuel Desjobert en remplit un récipient qui se met aussitôt à lâcher de la buée (c'est archi froid) et dépose la mousse au chocolat qui va se transformer en crème glacée au contact du produit.

Je tente une question... "Oui, c'est bien avec ce produit là que l'on brûle les verrues chez les dermatos", me répond on, et il est assez dangereux à manipuler parce que le froid brûle comme chacun sait. Mais aucun problème, il n'est pas en vente libre, les ménagères et autres cuisiniers du dimanche ne risquent rien. Et le chef me rassure, ce n'est pas plus dangereux à manipuler que l'huile bouillante. Me voilà renseignée…

Ce que nous sert le chef est léger et plutôt agréable, mais c'est une cuisine qui ne sent rien et ça me dérange. Christian Millau, à qui j'en parle, me rappelle que c'est Hervé This, ingénieur chimiste passionné par la cuisine qui a "branché" Pierre Gagnaire sur le sujet et j'admets qu'il est toujours intéressant d'explorer de nouvelles voies et d'expliquer certaines réactions en cuisine. Mais Christian Millau, me dit en riant "que le scientifique, au demeurant curieux et sympathique, a répondu à des questions que les chefs ne se posaient pas, qu'il a donné des explications scientifiques à ce qui était intuitif et que déjà, au XIXème siècle, un certain Marinetti avait consigné de genre d'expériences".

Ce qui est plus nouveau, en revanche, c'est que les industriels sont très intéressés à l'idée de détailler les molécules, d'isoler les arômes pour faire des framboises sans framboises et du poulet grillé sans poulet. Les enjeux sont donc fortement économiques. Bon sang mais c'est bien sûr !

Reste que Samuel Desjobert est bien passionné, qu'il va ouvrir en avril un restaurant rue Chavannes à Lyon baptisé "Evasion Gourmande" et que les deux animatrices de Badiane multiplient les initiatives dans leur arrière-boutique avec des programmes très intéressants autour de la cuisine. Et ça, c'est génial !

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